Le droit
1) Le droit est aussi ancien que la vie en société : à partir du moment où les hommes sont entrés dans l’ère de l’existence collective, ils ont éprouvé le besoin de régler leurs rapports. Mais depuis l’époque primitive, les sources, les domaines d’intervention et le contenu du droit ont subi de profondes mutations, dues aussi bien à l’évolution des techniques qu’à celle des idées : la diversification des règles suit en effet la complexité croissante de l’organisation sociale.
À l’origine, il s’agissait principalement de faire régner l’ordre au sein de la communauté et d’assurer la cohésion de celle- ci. Les règles à respecter émanaient de dirigeants que l’on croyait investis d’une mission quasi divine : les sorciers des tribus anciennes commandaient grâce aux pouvoirs magiques qu’ils revendiquaient et cette référence au sur- naturel s’est perpétuée jusqu’aux monarques de l’Ancien Régime, qui étaient considérés comme les «lieutenants de Dieu» sur la terre à partir et en vertu de la cérémonie du sacre. Dès l’Antiquité, toutefois, d’autres sociétés s’étaient dégagées de l’emprise religieuse : la Grèce, puis Rome, instaurèrent la république, forme de gouvernement où les dirigeants ne tiennent plus leurs pouvoirs de la volonté divine mais du choix populaire. Au cours de leur histoire, la plupart des pays ont connu des péripéties qui les ont fait osciller de l’un à l’autre de ces modèles d’organisation; mais presque partout, aujourd’hui, le droit s’est laïcisé et, sauf quelques exceptions1, il ne se réclame plus de la religion. Cela ne signifie pas que les considérations morales en sont absentes : on peut y rattacher des principes tels que l’égalité de tous devant la loi, la protection sociale, l’aide aux personnes démunies, qui fondent en grande partie les systèmes juridiques. Mais cette morale repose désormais sur la notion de droits de l’homme, dégagée au XVIIIE siècle par les « philosophes des Lumières », tels Montesquieu et Rousseau, qui ont inspiré la Révolution de 1789 ainsi que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen adoptée à cette époque et dont les principes sont toujours en vigueur. D’autres pays, notamment les États-Unis, ont participé au même moment à ce mouvement d’idées en adoptant une Déclaration d’inspiration analogue. Et au xxe siècle, la communauté internationale s’y est également ralliée : une Déclaration universelle des droits de l’homme a été votée par l’ONU (Organisation des nations unies) en 1948, c’est- à-dire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de la chute du nazisme. Elle a été suivie deux ans plus tard par une Convention européenne, puis complétée ensuite par des pactes relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques et sociaux. Tous ces textes énoncent. une série de droits considérés comme inhérents à la dignité de la personne humaine et à la lutte contre l’oppression : libertés individuelles et collectives, interdiction des discriminations raciales, suffrage universel, caractère démocratique des institutions; les gouvernants sont tenus de les respecter et les citoyens peuvent en exiger le respect. Ainsi, au fil des temps, l’absolutisme royal de l’Ancien Régime a-t-il cédé le pas à la souveraineté populaire.
2) La complexité de la vie sociale est aujourd’hui sans commune mesure avec ce qu’elle était avant la révolution industrielle. Les rapports économiques se sont multipliés, tandis que se faisait jour la nécessité de protéger les travailleurs : les droits des contrats, du commerce et du travail sont alors apparus et ont connu un développement considérable. L’expansion de la circulation automobile a engendré le Code de la route et le droit des assurances L’apparition de nouvelles technologies a également dû être encadrée par le droit : il fallait ainsi protéger les individus contre l’utilisation abusive des fichiers informatisés Il a fallu aussi réglementer le recours aux nouvelles substances polluantes, de même que prévenir les dangers des manipulations génétiques Et l’on pourrait citer bien d’autres exemples de cet accroissement du domaine du droit. Parallèlement, le rôle des pouvoirs publics s’est modifié : aux tâches traditionnelles de maintien de l’ordre s’est ajoutée la mission plus large et plus ambitieuse d’assurer de bonnes conditions de vie à la collectivité, voire de favoriser le progrès économique et social. Ce que l’on appelle l’interventionnisme 2 s’est considérablement accru avec les deux guerres mondiales successives et la grande crise économique de 1929 : les services publics se sont multipliés, ainsi que les prestations de toutes sortes et la réglementation de secteurs auparavant considérés comme relevant exclusivement de l’initiative privée. Peu à peu, l’administration a pris en charge la fourniture de l’eau, du gaz et de l’électricité, l’organisation des transports en commun, le fonctionnement d’établissements scolaires ou hospitaliers ; elle octroie aussi des aides économiques ou sociales et réalise des équipements. Toutes ces activités ont inévitablement entraîné l’édiction d’un corps de règles encadrant les interventions publiques et précisant les conditions dans lesquelles les particuliers peuvent en bénéficier : ces règles sont principalement contenues dans le droit administratif. Mais comme l’interventionnisme suppose des crédits et des investissements, le droit des finances publiques, qui englobe les prescriptions relatives au budget de l’État et à la fiscalité, s’est développé simultanément. Enfin, il faut tenir compte de l’extension des relations internationales et surtout de la construction européenne. D’une part, les traités et accords de toutes sortes, ainsi que les organisations multinationales dont la France fait partie (par exemple, l’Organisation internationale du travail) deviennent plus nombreux et sont à la source de normes spécifiques. Plus importante encore par ses conséquences sur l’ordre juridique est l’Union européenne, grande productrice de règles qui sont applicables dans les pays membres et constituent désormais une branche spécifique du droit, le droit européen. Au total, le droit actuel ne ressemble plus guère à celui du xixe siècle. D’une part, il est devenu si fourni que de nombreux auteurs, mais aussi des magistrats, dénoncent ce qu’ils dénomment « l’inflation normative » : tous les ans, par exemple, la France adopte près d’une centaine de lois et 1 800 décrets qui viennent s’ajouter au stock des textes en vigueur et auxquels il faut ajouter la réglementation européenne, qui représente un volume annuel équivalent. D’autre part, en raison de la multiplicité de ses domaines d’intervention, le droit s’est spécialisé en diverses branches dont le nombre peut être illustré par celui des enseignements dispensés dans les universités : alors qu’on en comptait une vingtaine dans les années 1950, il y en a plus de quarante aujourd’hui, dont le droit des assurances, de la propriété littéraire et artistique, de l’urbanisme, de la santé… La subdivision principale, toutefois, n’a pas changé : on distingue toujours le droit public du droit privé, les diverses branches spécifiques s’insérant dans l’une ou l’autre de ces catégories – avec parfois, on le verra, quelques zones mixtes.